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Initiée et réalisée par le Réseau des Féministes du Bénin, « VOIX FÉMINISTES DU BÉNIN » est une série d’interviews qui met en lumière les luttes des FÉMINISTES BÉNINOISES de toutes les générations. Découvrez dans cette interview, le combat de HUGUETTE BOKPE GNACADJA pour les droits des filles et des femmes, sa perception du féminisme, ses expériences et ses perspectives pour éliminer les violences basées sur le genre.

Je m’appelle Huguette Bokpè, épouse Gnacadja. Je suis avocate de profession. Actuellement je suis la présidente de l’Institut National de la Femme (INF) au Bénin.

Je suis une passionnée, une déterminée et une conciliatrice. J’appelle ça PDC.

Être féministe pour moi, c’est d’abord s’aimer en tant que femme. C’est-à-dire, aimer le fait qu’on est née femme, fille et qu’on est du sexe féminin. Ensuite, prendre conscience de sa valeur, de son potentiel, de l’unicité de sa destinée et du droit qu’on a de vouloir accomplir cette destinée. Et prendre aussi conscience des limites qui empêchent qu’en tant que femme, fille, on puisse jouir de l’égalité de droits, de l’égalité de traitements et de l’égalité d’opportunités au même titre que les personnes de l’autre sexe. Et enfin, se lever pour lutter et mettre de côté tous ces obstacles pour avancer.

Tout s’est véritablement déclenché au moment où je commençais à avoir une vie qui me menait tout doucement vers le mariage, la vie de couple. J’étais tombée enceinte pendant mon année de maîtrise. J’ai vu que cause du fait d’être enceinte à ce moment-là, les choses n’étaient pas évidentes pour moi. Quand je me comparais aux autres femmes, aux autres jeunes filles qui n’étaient pas enceintes, mais surtout quand je me comparais aussi aux hommes. Ce n’était pas grand-chose. Ça me montrait une différence. Par contre, c’est quand je suis entrée dans ma vie d’avocate, stagiaire que j’ai commencé à étudier, à me voir confier par mon maître de stage des dossiers, que j’ai commencé à observer la particularité de certains dossiers dont le fond était, disons, les infractions étaient liées au fait que c’était des femmes. Des infractions spécifiques, qui frappaient des femmes, parce qu’elles étaient des femmes. Là j’ai commencé vraiment à comprendre qu’il y avait beaucoup de choses qui se passaient, beaucoup d’inégalités. J’ai commencé à le voir de façon concrète. J’en entendais parler.

Véritablement la flamme n’est née, que quand j’ai été confrontée à des situations, des dossiers devant les juridictions où je me rendais compte que mais, si ça n’avait pas été une femme, ça ne lui serait pas arrivé. Le fait d’écarter les femmes d’une succession, d’aller au tribunal et de me retrouver dans un dossier de succession en face de représentants de la famille qui n’étaient que des hommes. Et quand on demandait, « Mais où sont les femmes ? », ils disaient « Elle est au champ. », « Elle allaite. », « Elle ne vient pas. Et puis ça ne la regarde pas. ». Là j’ai commencé à me dire qu’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. C’est au contact des réalités liées à des dossiers qui m’ont été confiées pendant que j’étais stagiaire. Moi-même, je crois que je suis née, avec à l’intérieur de moi, une passion qui fait que je suis naturellement portée vers de l’aide aux filles, aux jeunes filles. Et plus je devenais adulte, plus j’avais cette passion d’apporter de l’aide aux jeunes filles et aux femmes qui étaient brimées par des hommes. Et puis doucement, doucement on va dire, le feu a pris. Si je puis ainsi dire.

J’avais fini mon stage et j’étais en train de vouloir m’installer à mon propre compte. À ce carrefour-là, j’ai eu un dossier. Une femme qui est venue me voir. Je… Je revis cette scène jusqu’aujourd’hui. Elle est venue me voir comme un animal effrayé. C’était l’aspect qu’elle avait quand elle est rentrée dans mon cabinet. Et elle s’est mise à me raconter comment elle venait pratiquement de perdre son mari. Comment on a expliqué à l’hôpital que le mari était mort du tétanos, et comment sa belle-famille a estimé que c’est parce qu’elle a donné à son mari une certaine bouillie. Et que l’objectif était de l’empoisonner. 

Elle était venue me voir parce qu’elle avait fui d’un lieu où on l’avait emmenée pour boire ce que la belle-famille appelait « le breuvage de la vérité ». On voulait lui faire boire quelque chose en disant que, si elle buvait et que rien ne lui arrivait, c’est qu’elle n’avait rien à voir avec la mort de son mari. Mais que si quelque chose lui arrivait c’est que, elle tomberait raide, et que ça confirmerait que c’était elle qui avait tué son mari.

Donc elle a eu la présence d’esprit d’avoir peur. Je veux dire, elle a eu… L’instinct de conservation a fait qu’elle a eu peur d’être empoisonnée. Et elle a feint d’aller faire pipi ou quelque chose comme ça et elle a pris ses jambes à son cou, et elle a dû prendre conseil, et elle a atterri dans mon bureau. 

Et donc là, j’ai compris que vraiment, avec les femmes, il se passait quelque chose. Donc, dans cette douleur-là, deux jours après son passage à mon bureau, elle est revenue me dire qu’elle avait été chassée de son domicile conjugal. Ses enfants ont été entre griffes confisqués par la belle-famille et on l’a laissé partir avec juste le pagne qu’elle portait.

Là, c’est-à-dire il y a une espèce de révolte qui a commencé à sourdre du dedans de moi-même. Donc je l’ai défendue avec mes tripes. La justice nous a… Euh le procureur nous a affecté un détachement de policier. Et c’est comme ça, parce que le lieu de l’enterrement de son mari lui avait été interdit. Donc, elle a été accompagnée par la police. Elle a pu assister à l’enterrement de son mari. Je l’ai aidée à récupérer ses enfants et à être rétablie dans ses droits. 

Et à partir de ce jour-là, alors que j’étais avocate d’affaires, je suis passée d’avocate d’affaires à avocate de la veuve et de l’orphelin, dans le vrai sens du terme. Dans le vrai sens du terme, parce que franchement ça fait 30 ans que je suis avocate et, la moitié de mes dossiers, c’est des dossiers dans lesquels je ne me suis pas fait payer d’honoraire. Je suis vraiment devenue l’avocate de la veuve et de l’orphelin. 

C’est important pour moi, parce que je suis très heureuse de l’avoir été et d’avoir fait ce choix. Donc voilà comment ça a commencé. 

Et en même temps, je suis rentrée dans la vie d’une activiste sociale, si je puis dire. Donc, tout en faisant ce métier, et en faisant de belles rencontres qui m’ont aidé à développer justement cette passion, je suis aussi rentrée d’abord à l’Association des Femmes Juristes du Bénin où je suis restée un moment. Ensuite, le réseau WILDAF Bénin ; Femmes, Droit et Développement en Afrique de l’Ouest. Ensuite, Social Watch Bénin. Et puis, plus tard, bien plus tard, l’Association des Femmes Avocates. 

Mais au-delà de ça, il y a ce que moi-même toute seule, en tant que femme passionnée des droits des femmes, je fais tous les jours. Consoler une femme qui pleure, apporter un soutien psychologique, apporter un soutien financier, défendre en justice. Moi c’est mon quotidien. Je crois que je suis née pour ça. C’est ce que je vais appeler ma raison d’être. 

Ma raison d’être, c’est cette mission que j’ai de m’occuper des femmes, de m’occuper des jeunes filles, de m’occuper des filles. C’est comme ça. Je l’ai compris et ça me fait du bien.

Hum. Les défis ? Il y a des défis qui sont liés, on va dire, au fait que les femmes ont peur de dénoncer. Elles ont peur de se plaindre. Parce que généralement, elles disent « En me plaignant, je me crée d’autres problèmes. ». 

Combien de fois on n’a pas eu des situations de femmes qui, pour être allées dans un centre de promotion sociale, pour être venue me voir. Et maintenant avec l’expérience que je vis en tant que Secrétaire Exécutive Nationale de l’Institut National de la Femme… Parce qu’elles ont fait un tour à l’Institut National de la Femme. En rentrant chez elles, ou parce que l’Institut National de la Femme a invité leur compagnon ou leur mari pour dire « Bah écoutez, asseyons-nous qu’est-ce qui se passe ? Votre femme se plaint de ci, elle se plaint de ça. Qu’est-ce qu’on peut faire ? ». Mais quand elles rentrent, elles subissent des représailles. Donc elles ont peur de se plaindre. 

Elles ont peur de dénoncer parce que, elles ont peur que ça leur crée un deuxième problème. Elles ont peur d’être expulsées de leur domicile conjugal ou de chez leur compagnon. Elles ont peur que la belle-famille ne s’acharne sur elles. Elles ont peur d’être stigmatisées. Euh… J’ai déjà entendu une femme, la mère d’une fille qui a été violée me dire « Mais d’accord. L’Institut National de la Femme va nous appuyer, on va gagner le dossier, l’auteur va être puni mais il reste que moi dans mon milieu, j’ai une fille violée sur les bras. Qui va l’épouser ? ». 

Donc il y a ça. Il y a cette crainte-là donc qui fait que, il y a la peur de dénoncer, il y a la peur de se plaindre. Et parfois une préférence à garder le statu quo avec le risque d’en crever peut-être un jour. 

Il y a donc aussi lié à cette cause, il y a la grande dépendance économique des femmes, et des jeunes filles, des auteurs des violences qu’elles subissent. Donc, si on n’a pas de travail, si on dépend que de celui-là même qui est l’auteur de la violence, on va subir. On va avoir peur parce qu’on va dire « Qu’est-ce que je vais devenir si je me plains ? Si je me sépare de lui ? ». Donc on a vraiment ce gros problème là.

Et quand j’en parle, je parle aussi d’un problème que nous rencontrons, même avec des jeunes filles instruites, des jeunes filles qui ont eu des diplômes, à qui le compagnon a demandé d’arrêter ! Des jeunes filles qui allaient à l’école, qui étaient étudiantes, à qui le compagnon a dit « C’est pas grave, même si on se marie, tu pourras continuer tes études. », et qui n’ont pas finalement travaillé. 

Des jeunes filles qui ont un diplôme, qui ont même trouvé un travail, et à qui les époux ont dit, ou les compagnons ont dit « Reste à la maison, j’ai de l’argent. Je m’occupe de toi, je m’occupe des enfants. Occupe-toi de nos enfants. » et qui n’ont plus jamais travaillé. Mais qui dans leurs relations avec ces personnes par la suite, ont connu une dégradation, etc. 

Donc ça fait que les femmes et les jeunes filles subissent, et que bon… Leur vie est ça. Même quand elles se plaignent, elles se plaignent entre le 1er et le 20 du mois, et à partir du 20 elles arrangent leur mine sachant qu’à la fin du mois, la dépendance économique va faire que, il faut être en accord avec celui… Celui dont on dépend financièrement. 

On a la vie dure, que certaines de nos pratiques, certains pans de notre culture continuent de s’appliquer à cause, justement du système patriarcal dans lequel on est encore assez, assez profondément, surtout quand on s’éloigne de Cotonou et de ses environs. 

On a aussi, moi j’aime, je l’ai remarqué hein, certaines interprétations tendancieuses de la parole divine. Qu’il s’agisse de la Bible ou qu’il s’agisse du Coran. Tendancieuses ou alors incomplètes. Du genre, faire croire que quand on est musulman, c’est pas simplement une faculté qu’on a de prendre plus d’une épouse, mais que c’est la norme. Alors que c’est une faculté. 

Et occulter le fait que la parole divine dans le Coran indique, prescrit, si ça arrivait, de rester juste, équitable envers les deux femmes. Donc de les traiter de façon égale. Ce qui est presque toujours dans la pratique… Ce n’est pas observé. On en parle très peu. On fait beaucoup plus passer le message de « Vous avez le droit d’avoir quatre épouses, au moins quatre épouses. » que, « Vous pouvez avoir plus d’une épouse, mais si c’est le cas, vous devez les traiter en toute égalité. ». 

Et aussi, en ce qui concerne la Bible, les passages qui relèvent, qui sont sur les questions de soumission. L’interprétation qu’on fait d’Adam, d’Eve, du nombre de côtes d’Adam par rapport au nombre de côtes d’Eve, de l’appellation de son compagnon, « Ma moitié ». Vraiment ! Un certain nombre de choses. « Voici ma moitié ! ». Et donc du coup, quand il y a un problème, quand la moitié, la personne qu’on considère comme la moitié s’en va, on estime qu’on est devenu incomplet et que la vie s’arrête là. Un certain nombre de choses en fait. 

La question de la soumission telle qu’elle est, telle qu’elle est dans la parole de Dieu. Et parfois on l’enseigne comme une soumission qui est telle que, si ça va demander que le couteau vous tombe sur la gorge, c’est votre karma. C’est la volonté de Dieu. Donc il y a un certain nombre de choses qui fait que ça persiste, les violences à l’égard, à l’égard de la femme. 

En fait, il y a des hommes pour qui, comme la femme est un être inférieur, le seul système de communication avec elle, sera un système de communication par voie de commandement. Et donc ça biaise les relations. Donc il y a tout ça. 

Il y a aussi la pauvreté, parce que nous avons des situations où, par exemple, un parent d’élève qui n’arrivait déjà pas à payer la scolarité de son enfant, et qui se retrouve avec un enseignant qui a mis son enfant enceinte. Alors que c’est le même enseignant qui paye la scolarité, qui fait, qui est le soutien, qui fait étude à la fille. Quand vous allez le voir pour lui dire que, il y a infraction à la loi et que ce n’est pas normal que sa fille ait été mise enceinte, il vous répondra que « C’est lui qui l’a mise à l’école. C’est lui qui paie sa scolarité. C’est mon gendre idéal. Donc, ne mettez pas du sable dans mon gari. ». C’est la réponse qu’ils nous donnent quand on va vers eux.

Donc voilà, il y a tous ces facteurs là qui font que nous avons encore du mal, mais ça ne nous décourage pas.

Alors, pour parvenir à réduire les violences basées sur le genre et à instaurer ou à faire naître une mentalité qui soit plus favorable à la non-violence, je pense qu’il faut faire plusieurs choses de façon concomitante. C’est pas nouveau, mais je pense qu’il faut aussi sortir des sentiers battus, des méthodes qu’on utilisait. Il faut s’interroger sur nos méthodes. Parce que s’il s’avère qu’elles ne sont pas aussi efficaces qu’on le voudrait, ça veut dire qu’il faut changer de fusil d’épaule.

La prévention. La prévention, dans la prévention, je pense qu’elle est importante, mais je pense que désormais, faut pas… Il n’y a pas une prévention, une sensibilisation qu’il faut faire pour les filles et pour les femmes. Au moment de sensibiliser, il faut s’adresser aux femmes et aux hommes, aux filles et aux garçons, aux jeunes filles et aux jeunes garçons. Parce que c’est pas la peine de faire de la sensibilisation hors la présence de ceux qui exercent la violence. 

Non seulement il faut le faire ensemble, femmes et hommes, filles et garçons, mais il faut le faire avec aussi les garçons. Je veux dire que parmi les communicateurs, parmi les sensibilisateurs, parmi les personnes ressources que nous allons utiliser pour faire cette sensibilisation, il faut qu’il y ait des hommes. Il faut qu’il y ait des jeunes hommes. Pour que, on cesse de considérer que c’est la chose et l’affaire des femmes et des filles. Non. 

C’est la chose et l’affaire d’une nation, qui est amputée de la moitié de sa ressource humaine. De plus de la moitié de sa ressource humaine. Et donc, de son capital. Mais nation qui dit en même temps, euh, qu’elle veut un développement durable et inclusif. Donc, ça fait partie même des stratégies de développement. Ce n’est pas l’affaire des filles. Ce n’est pas l’affaire des femmes. C’est l’affaire de la nation.

Donc intégrer les hommes dans notre dynamique. Favoriser, encourager, ce que nous appelons donc aujourd’hui la masculinité positive, qui est le comportement de l’homme capable d’être non-violent. Et qui va mener des actions, qui va avoir des positions, qui va être celui qui porte son épouse. Qui va être celui qui encourage la promotion de son épouse au boulot, qui va être celui qui permet à son épouse de faire de la politique si ça la passionne. Qui va permettre à son épouse d’aller en mission, de voyager, de représenter son pays à l’échelon régional, international. On a besoin de ça pour que ça ne paraisse plus étrange qu’un homme soit d’accord pour qu’il y ait égalité d’opportunités dans un couple, égalité de traitement, égalité de droit.

La communication doit passer aussi par les arts. Parce qu’il y a des gens qui sont sensibles à l’art. Ça doit passer par les arts. Ça ne doit pas être seulement par « Je prends mon code, je vais et d’un ton docte, je vous dis voici ce que la loi a dit. ». Sa communication doit être appuyée sur les ingrédients de notre culture qui promeuvent les droits de la femme. Il y en a. C’est qu’on n’a pas fait assez de recherches. 

On parle tout le temps des pesanteurs socio-culturelles. Mais on ne rentre pas dans la culture pour voir, quels sont les aspects de la culture sur lesquels on peut s’appuyer d’une main, l’autre main tenant le code ou les lois pour aller vers les gens et leur parler de choses qui leur parlent. Leur dire « Vous savez dans notre culture, comme dans le Nord par exemple. Dans notre culture par exemple, le roi de Nikki a une… la grande sœur du roi de Nikki, elle est la Gnon Kogui et c’est comme un premier ministre. Sans elle, on ne prend pas de décisions. Elle, elle a aussi des ministres. Quand on fait la Gaani du roi, on fait la Gaani de la Gnon Kogui ». 

Est-ce que vous pouvez imaginer que ce genre de choses existe dans notre culture, et que combien de jeunes filles connaissent la Gnon Kogui ? Mais combien de jeunes filles seront inspirées par l’Amazone, la statue de l’amazone et toute l’histoire qu’il y a derrière ? Donc il faut aller puiser dans nos cultures pour faire notre sensibilisation.

On a des choses qu’on savait faire, avant que, on ne soit civilisés selon le regard des autres. On avait une civilisation africaine. On a une civilisation béninoise, dans laquelle les femmes jouent un rôle. Si on se souvient que, on confiait même des rôles cultuels aux femmes, alors on saura que les femmes ont une place dans notre société. Il faut aller chercher. Il faut faire de la recherche. L’Institut National de la Femme va faire une étude sur ça. 

Donc sensibilisation. Je suis dans la prévention. Et action. Il faut agir, il faut sanctionner. Le temps de l’impunité est fini. Le temps où on dit « Je vais faire ça et puis il n’y aura rien. Rien ne se passera. », est fini. Donc, il n’y aura plus de médiations et de négociations sur certains faits. Le viol ne souffre d’aucune négociation. Les coups et blessures volontaires, qui entraînent des incapacités sur des femmes, ne peuvent pas souffrir de négociations. 

Donc, il faut agir. Il faut punir. Et il faut punir sévèrement pour empêcher la récidive et pour donner un signal fort. Il faut aller plus loin. Et ça c’est le pouvoir qui est donné à l’Institut National de la Femme. Même si personne ne se plaint, si c’est répréhensible, l’Institut National de la Femme va agir. Si on voit quelque chose qui, si on laisse ça comme ça. Ce silence, cette inaction serait laisser un très mauvais signal, l’Institut va agir. Et se porter partie civile tout seul, même si personne ne se plaint. Donc voilà. 

Donc il faut faire la prévention, il faut faire de l’action. Il faut un dialogue communautaire. C’est nécessaire parce que c’est le dialogue communautaire qui va mettre ensemble par exemple, la famille d’une fille de 8 ans qui a été violée en face de la famille de l’auteur du viol. Et c’est ce dialogue communautaire qui va permettre de dire que, quand l’auteur de viol ira à la CRIET, qu’on lui collera plusieurs années de prison. 

Que la famille de la fille violée, ne puisse pas souffrir de représailles de la part de la famille du violeur qui va dire « C’est vous qui avez mis notre fils en prison. ». Mais que, avec ce dialogue communautaire, la famille de l’auteur puisse dire « C’est ce que notre fils a choisi de faire qui l’a conduit en prison. ». Voilà ce que le dialogue communautaire peut créer : une adhésion au fait que la sanction de tel acte, est une sanction juste.

Donc, c’est tout ça qu’il faut mettre en musique. Il n’y a pas un moment pour sensibiliser, et un moment pour sanctionner. Ça se fait ensemble et ça n’arrête pas.

Moi je crois qu’il faut d’abord qu’on se connaisse tous entre féministes. Un. On soit se connaître ! On doit être ensemble. On doit parler ensemble, discuter ensemble. Quand on se connaît, on crée un réseau. On crée le réseau, indépendamment de ce que chacun de nous fait. Parce que chacun de nous a un agenda. C’est clair. 

Mais, il doit y avoir un agenda commun sur lequel on s’entend. Moi je pense à un truc thématique, annuel. C’est-à-dire on s’entend, on a un agenda commun, sur une thématique donnée sur lequel on agit toute l’année. On se distribue des rôles, on a des activités périodiques, on a des cercles de réflexion périodiques, on décide, on a un plan d’action qu’on met en œuvre. Et puis, on fait une évaluation. 

Quand on fait quelque chose une année, on doit évaluer et savoir si on a progressé. C’est pas la peine de changer de thématique chaque année sans jamais se mettre, se remettre en question. Donc se connaître, travailler ensemble sur un programme qui sera le programme des féministes du Bénin en dehors de ce que chacun fait. Et de façon périodique, agir. Dérouler ce programme de façon périodique. Agir, réfléchir. Agir, réfléchir. Parce que on va avoir peut-être des événements, des faits sociaux qui vont demander qu’on réagisse. 

Vraiment, faire connaissance et se mettre ensemble. Avoir un agenda commun indépendamment de nos agendas respectifs en tant que structures, en tant que groupes et autres. S’entendre sur une thématique chaque année sur laquelle nous allons travailler, sur laquelle nous aurons, nous parlerons de la même voix. Quelle que soit celle ou celui qu’on interroge, le discours, comment dirais-je, le point de vue, s’entendre sur des opinions. 

Pour ne pas aller en rangs dispersés, quand on veut exprimer son opinion sur un fait donné, n’est-ce pas ? Dérouler cet agenda là sur l’année. Se revoir peut-être trimestriellement ou deux fois l’an au moins. Faire une évaluation et avancer ensemble. Moi je crois que c’est comme ça qu’on peut y arriver.

Alors euh… Je crois que cette collaboration passe par une écoute réciproque sans a priori, sans préjugés. Qu’est-ce que j’entends par cela ? Les jeunes, que les jeunes acceptent d’être entretenus par les moins jeunes. Que les jeunes se disent que, qu’ils ne viennent pas avec l’a priori de « Ouais, c’est la génération… ouf. C’est vraiment has been. » quoi. Si ça commence comme ça, ça ne va pas y faire. Parce que la has been a de l’expérience figurez-vous. Une expérience riche dont vous pouvez profiter. 

Parce que quelles que soient les générations, il y a des choses qui ne changeront pas. L’excellence va toujours primer. Le travail, le travail acharné, va toujours primer. Il y a des valeurs qui vont primer. Un nom vaut plus que tout l’or du monde. Une réputation ne se négocie pas. Il y a des choses donc, que la génération moins jeune va apporter à la génération jeune, va lui rappeler, va partager avec elle. 

Et les fruits, restent les fruits. Quand vous avez une compétence, que vous avez certaines valeurs, vous voyagez avec. Même si on vous licencie, vous irez ailleurs avec. On va vous réengager. Donc, les moins jeunes ont des choses à apprendre aux jeunes. Les jeunes ont des choses à apprendre aux moins jeunes. À tout le moins, ils ont à partager avec les moins jeunes leurs nouveaux défis. Parce que les défis des jeunes d’aujourd’hui ne sont pas les défis que nous, nous avons eu par exemple. Et moi mes défis ne sont pas ceux que la génération de ma maman a connue. 

Donc nous moins jeunes, nous devons être à l’écoute des jeunes. Nous devons nous adapter à leurs moyens de communications. Nous devons accepter de comprendre que la façon dont ils fonctionnent est différente de la façon dont nous fonctionnons. Nous devons aller à l’école du digital pour pouvoir communiquer avec eux, avec les moyens qu’ils utilisent aujourd’hui pour communiquer. Ne pas partir avec le manteau du donneur de leçon, mais alors pas du tout, mais de celui qui partage son expérience, et qui en partageant son expérience, n’occulte pas ses échecs. 

Ça ne sert à rien de dire à nos enfants que tous nos bulletins portaient 10/10 ou 20/20. S’il y a eu des années ou des périodes où ça a porté de mauvaises notes, il faut qu’on leur dise que ça a porté de mauvaises notes et qu’on leur dise pourquoi. Donc, partager nos échecs aussi et comment nous nous sommes relevés de ces échecs-là. Partager aussi les mauvaises décisions dont les conséquences sont… comment dirais-je indélébiles. Des choses qu’on ne peut plus changer. Parce que c’est quand on va leur dire qu’ils feront en sorte de ne pas prendre de mauvaises décisions. 

Donc, chacun doit être à l’écoute de l’autre sans a priori, sans préjugés, avec l’idée que c’est pour apprendre. C’est pour challenger ma conception de la vie. C’est pour challenger mes idées reçues et pour m’enrichir de ce qui a fonctionné par le passé et qui continue de fonctionner. Et nous aussi, moins jeunes, de nous enrichir de ce que les jeunes aujourd’hui savent faire que nous ne savons pas faire. 

De… Aujourd’hui on parle de l’intelligence émotionnelle. Ma maman n’a pas connu ça, mais moi je suis entre les deux. Je connais ça donc je peux en discuter avec les plus jeunes. 

Donc voilà. L’idée est de s’enrichir mutuellement. Ça va permettre de faire une chaîne, n’est-ce pas ? Et aussi, cultiver, promouvoir le fait que les jeunes puissent parler aux jeunes. Quand les jeunes se parlent entre eux, il y a des consensus qui se créent. Et quand les jeunes parlent avec les moins jeunes, il y a de l’instruction qui s’ajoute à cela.

L’espoir d’une génération de femmes, de jeunes, qui d’abord vont à la découverte de leur identité. Découvrent leur raison d’être, identifient leur don inné et leur talent. 

Pourquoi je dis ça ? Parce que je peux vous dire par expérience que, c’est quand vous connaissez vos dons, vos talents, que vous orientez vos études, les lectures que vous faites, les gens que vous fréquentez, ce à quoi vous occupez votre temps. Quand c’est orienté vers ce que vous avez reçu de façon innée, alors l’instruction, l’école, l’université vous sert à développer. C’est plus facile de développer ce dont on est déjà doué naturellement que de forcer. Et quand vous faites ça, vous ne forcez pas votre destin, mais vous rentrez pleinement dans votre destinée. 

Savoir. Une génération qui sait, dont chaque personne, chaque femme, chaque homme, chaque fille, chaque garçon sait qu’il est un être unique, qui n’a pas de photocopie, qu’il a une destinée unique et que, il est le seul à faire le plus pleinement, le plus parfaitement possible ce à quoi il est destiné. Ça permet en fait de connaître sa valeur. Parce que quand vous ne connaissez pas votre valeur, l’abus de soi et l’abus des autres devient inévitable. 

Si vous savez qui vous êtes, si vous découvrez votre identité, vous ne vous laisserez pas abuser parce que vous serez heureux. Vous aurez l’estime de vous-même. Vous n’abuserez pas des autres parce que vous reconnaîtrez en chaque autre, toute une destinée, tout un avenir. Et donc, c’est ce que je demande, c’est la prière que je fais. Et c’est mon combat. Le combat… Je ne peux pas parler aux jeunes sans parler de leur identité. 

Et aussi, des jeunes qui reconnaissent que, entre femmes et hommes on est égaux. Et qui cultivent dès le plus jeune âge le vivre ensemble, le respect de l’autre, l’égalité de droits, l’égalité de traitements, l’égalité d’opportunités. Je rêve d’une génération de jeunes filles qui soient financièrement autonomes. Je rêve d’une génération de jeunes filles qui soient émotionnellement autonomes. Parce que vous pouvez être financièrement autonomes et émotionnellement, mais, dramatiquement dépendants. Et, des personnes qui écrivent la vision qu’ils ont d’eux-mêmes. Des jeunes qui se projettent dans le temps. Dans 5 ans, comment je me vois ? Dans 10 ans, comment je me vois ? Avec qui je suis ? Dans quel secteur je suis ? Je pense que ça va changer les choses et je pense que ça va réduire les violences et les inégalités entre les femmes et les hommes. En tout cas c’est mon rêve, et… je veux faire rêver les jeunes. Et, même si un jour je ne suis pas là, je voudrais qu’ils continuent non seulement de rêver, mais qu’ils soient les premiers acteurs. Les acteurs principaux de la réalisation de ces rêves. Voilà.

Propos recueillis par Chanceline Mevowanou.

Interview disponible en audiovisuel ici.

Récemment, j’ai eu la chance d’entretenir des jeunes féministes sur le burn-out. C’était improbable pour moi et j’avoue m’être demandée avant de mettre pied dans la salle, ce que je pourrais bien leur raconter. “Google est ton meilleur ami pour tout apprendre de nos jours” disent-ils. Dans mon cas, je n’avais pas besoin de me rendre sur Google pour savoir ce qu’est le burn-out militant, ce qu’est l’épuisement. Ces choses je les connaissais très bien car je les ai vécues. Je ne suis d’ailleurs pas sûre de m’en être complètement remise.

C’en était devenu presque comme un poids m’empêchant d’être moi, d’être heureuse dans ce que je fais, dans l’expression de mon plein potentiel. Alors j’ai commencé à me poser des questions, à creuser loin. 

Évoluant le plus dans des cercles féministes, j’ai eu à demander à beaucoup de mes sœurs si elles avaient la même chose que moi. Si elles étaient épuisées, lasses de tout. Mais surtout, je me suis demandée ce qui pourrait en être la cause. Nous sommes trop jeunes pour crouler sous l’épuisement. La vérité est que toutes autant que nous sommes, nous nous investissons corps et âme dans ce combat. Au quotidien nous y mettons beaucoup de nous sans chercher à nous protéger. 

Hormis tout le travail que nous abattons chacune de nos côtés, il y a ce à quoi le combat nous expose. Les attaques du dehors, les remises en question permanentes, les moments de doutes, la charge mentale et tout le tralala. Que tu choisisses d’être une féministe engagée dans une organisation ou une féministe libérale, peu importe la façon dont tu vis ton féminisme, il y a la charge mentale qui l’accompagne.

Par expérience je peux vous raconter ces soirées à pleurer sur mon matelas parce que je pensais être seule contre le monde, totalement incomprise. Je peux vous parler des frissons et des moments de baisse émotionnelle quand tu apprends un nouveau cas de viol, quand tu apprends que telle a été tuée par son compagnon et que tu te regardes et te dis : mais à quoi je sers si je ne peux rien pour elles ? 

Je peux vous parler de ces moments où tu as envie de tout abandonner, de t’en aller loin mais que tu te rappelles que tu es liée à vie. Je peux aussi vous entretenir sur ces moments où tu as juste envie de parler à quelqu’un, de te vider, de te sentir moins seule et comprise. Je peux vous parler de ces moments après que tu aies lu une insulte sur ta personne, tes parents alors que tu ne faisais que défendre tes droits, alors que tu ne demandais que le respect en tant qu’humaine.

Il y a beaucoup de choses dont je pourrais vous parler mais ce n’est pas comme si vous ne le saviez pas ou que vous ne les viviez pas au quotidien. Je sais que plus d’une fois vous aviez eu envie de pleurer ou que vous l’avez fait à cause de ce combat que l’on mène. Je sais que le plus souvent vous vous sentez impuissantes et fatiguées. Seulement, on ne parle presque jamais de cela dans nos assemblées. 

Le patriarcat, il est fort. Il nous fait enrager, il nous met en colère, il nous fait suer, nous battre pour survivre. Il nous arrache tout. On se bat contre lui corps et âme au point où l’on s’oublie. Chaque fois que j’y pense, je deviens mélancolique. J’ai parfois besoin de compter, de cesser d’être une superwoman, d’être celle qui sait crier…J’ai besoin d’aller bien. C’est seulement en bonne santé, en bon état mental, en harmonie interne que je pourrai être utile à la cause. Mais ça je l’oublie souvent et cela vaut pour vous aussi.

Après mes longues réflexions et mes discussions avec des amies j’ai décidé d’écrire cet article pour vous proposer quelques soins personnels. Des soins pour vous, pour entretenir votre corps et votre âme. Des soins pour aller bien et trouver l’équilibre. Ce sont des soins que je tente moi-même de pratiquer. Je fais des efforts entre les injonctions à la lutte et mes besoins d’aller bien pour cette même lutte. On y va : 

S’il ne vous est jamais arrivé de prendre du temps pour vous chaque matin afin de vous rappeler la personne que vous êtes, combien vous êtes formidable et combien votre travail compte alors c’est le moment de commencer à le faire. Ça vous fait gagner en confiance, vous rend moins irritable et donc d’attaque pour survivre aux agressions externes. 

Offrez-vous de temps à autre des moments de détente loin de votre environnement de travail et des personnes que vous côtoyez au quotidien. Allez rendre visite à des gens que vous aviez vu il y a longtemps, isolez-vous loin, prenez du temps loin du stress. Offrez-vous le plus souvent des moments de relaxation. Une balade à la plage, un moment de spa ou si vous êtes aussi financièrement fauchée que moi, organisez vos moments de soins de corps entre copines avec des produits faits maison pas coûteux.

Essayez-vous à d’autres choses, d’autres activités comme le bricolage, le dessin, la musique, les activités manuelles… Faites de nouvelles choses qui vous aident à libérer votre esprit et votre créativité, des choses différentes de la réalité cruelle que nous réserve cette société d’oppressions.  

La lecture n’est pas uniquement pour acquérir la connaissance, elle peut être apaisante. Offrez-vous les livres de vos choix et isolez-vous pour les lire dans le calme et vous emportez dans le récit. Que vous aimiez écrire ou pas je vous propose de vous acheter un carnet où vous écrirez vos émotions selon le besoin. Ça vous aide à réduire le stress quotidien et à vous connaître. 

Peut-on vraiment se détourner d’internet de nos jours ? Mais vous n’ignorez pas tout le danger que cela représente pour nous d’être tout le temps connectés. Primo, je vous conseillerai de faire le tri des personnes que vous suivez et de mettre à la poubelle tous les contenus que vous jugez toxique pour vous. Assainir son environnement est le premier pas vers l’épanouissement. De temps à autre, éteignez téléphone, laptop ou tout autre appareil vous reliant au monde et retrouvez-vous avec vous-même. Créez des limites entre votre vie professionnelle et votre vie privée.

Je dois vous avouer un secret, je n’aime pas du tout le sport même si on ne cesse de me répéter que j’ai une forme athlétique. Mais, c’est un atout premium en matière de bien-être. Créez-vous une routine de sport et vous me remercierez plus tard. Si vous êtes fan de yoga, achetez-vous un tapis et faites un tour sur Youtube. Ou si vous pouvez vous le permettre, abonnez-vous à des cours de Yoga dans les institutions spécialisées. Apprenez à méditer dans le silence ou avec un air mélodieux… C’est apaisant.

Sachez vous reposer quand vous êtes fatiguées. Cessez d’être des warriors disponibles pour tout. Mangez sainement et hydratez-vous comme il se doit. Votre alimentation compte beaucoup pour votre bien-être physique et émotionnel. Créez-vous des cercles d’amies, des espaces où vous pourriez vous sentir libre de parler, de demander de l’aide, du soutien en cas de baisse émotionnelle. Des cercles basés sur l’amour et la bienveillance. Accordez-vous le droit d’être humaine, imparfaite et donnez-vous beaucoup d’amour. Ma liste n’est pas fameuse ni exhaustive mais j’espère que vous trouverez parmi les méthodes citées, celles qui vous iraient. 

Je ne peux finir sans vous dire combien il est primordial pour nous en tant que militantes féministes de nous centrer sur les soins personnels et collectifs pour préserver notre bien-être mais également être plus efficientes dans le travail que nous menons. La route est longue. Je nous souhaite beaucoup de courage et de bonheur. Si vous avez des soins propres à vous, à partager avec nous n’hésitez pas à nous écrire.

Par Carine DANHOUAN