(À propos de « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité)
Pendant plusieurs jours cette semaine, une sorte de polémique a explosé en Côte d’Ivoire et a envahi la toile. Le sujet qui a défrayé la chronique est lié à un concours de beauté intitulé « miss vierge » qu’un diocèse aurait organisé. Plusieurs avis ont été exprimés et étaient suivis de vifs échanges. En suivant les conversations, j’ai eu envie de partager mon expérience d’ex participante à un de ces concours et donner mon avis sur le sujet.
Les initiatives comme « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité étaient fréquemment organisés au Bénin. Actuellement, on a l’impression que ces types d’événements sont rares. Il y a quelques années, j’ai été une participante d’un creuset de valorisation de la virginité et aspirante aux trophées miss vierge. Lorsque j’ai eu mes premières règles à 14 ans, mes parents avec l’explication d’une voisine ont estimé que c’était trop tôt d’avoir des règles à 14 ans. Pour eux, la seule raison qui justifierait l’arrivée de mes règles à cet âge était un rapport sexuel. Pourtant je n’avais eu aucun rapport sexuel à l’époque. Ils ne m’ont pas cru. Ils m’ont insulté, menacé, privé d’attention et ont failli me soumettre à un test de virginité.
Cette expérience a été traumatisante pour moi. Plus tard, je me suis retrouvée dans le creuset de valorisation de la virginité et j’ai été une aspirante aux trophées miss vierge de ce creuset car je voulais ramener le trophée et prouver à ma famille que j’étais effectivement vierge. Je voulais restaurer ma valeur et ma dignité auprès d’eux. Parce que ma mère me traitait comme si j’étais une princesse déchue. Cependant, je n’ai pas été au bout. J’ai surmonté ce vécu traumatisant et je n’ai pas réalisé mon objectif en entrant dans ce creuset qui était de prendre le trophée miss vierge. Les organisateurs de miss vierge en Côte d’Ivoire aurait énuméré plusieurs raisons pour lesquelles ce concours a été organisé. Entre autres, « la protection des mineurs, la valorisation de la virginité, la lutte contre les grossesses précoces y compris en milieu scolaire ». De mon expérience, voici ce que j’ai appris de ces types d’évènements.
Ce que j’ai appris des initiatives comme « miss vierge »
En tant qu’ancienne participante d’un creuset où plusieurs valeurs sont promues dont la virginité (y compris une cérémonie de célébration des filles vierges), je peux vous dire que toutes ces initiatives ne partent pas de mauvaises intentions et sont alignées sur certaines croyances et espérances de nos sociétés. Dans le creuset où j’étais, les enseignements et les conversations prônés tout en en mettant la virginité au centre avaient plusieurs objectifs : encourager les filles à rester « pures », à ne pas avoir des rapports sexuels pendant qu’elles étudient encore car de tels actes pourraient déboucher sur des grossesses précoces ; motiver les filles à rester vierge jusqu’au mariage car cela revêt une certaine dignité, fierté et mériterait une plus grande valorisation ; aider les filles à acquérir des compétences de vies dont l’art oratoire, le leadership ; soutenir les filles à évoluer dans les études en mettant le sexe de côté. Certains enseignements tirés de la bible étaient également prônés dans ce creuset. On parlait de vertu, de la sacralité du corps de la femme. En plus de ces enseignements, il y avait tout un processus de préparation pour la cérémonie “trophée fille vierge” qui comprenait les contrôles de virginité à l’hôpital. Certaines filles comme moi venait d’elles-mêmes. Dans d’autres cas, les parents les amenaient.
Les choix que certaines femmes peuvent librement faire en matière de sexualité sont valables en tant que leurs choix. Nous n’abordons pas la sexualité de la même manière et qu’elles décident d’avoir de rapports sexuels avant le mariage, de pratiquer l’abstinence secondaire, de ne pas avoir de rapports sexuels jusqu’au mariage ou de ne pas avoir d’activité sexuelle du tout, ce sont des choix qu’elles peuvent faire et nous n’avons pas à mettre nos bouches dans leurs corps. Cependant, l’histoire de « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité spécifiquement pour les filles n’est délibérément pas l’histoire des femmes qui librement font des choix en matière de sexualité.
Les initiatives « miss vierge » et culture de la pureté
Derrière de tout ce qui est présenté en tant que raison d’être des initiatives comme « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité, nous avons des croyances religieuses, la sexualisation des filles et des femmes, l’absence d’éducation complète à la sexualité. Dans nos sociétés prenant l’exemple du Bénin particulièrement, les filles sont encore éduquées à croire et penser que leur sexe est ce qu’elles ont de plus précieux à donner et à valoriser dans cette vie. Elles n’ont généralement pas développé cette croyance de leur propre cheffe mais ces croyances existent dans nos communautés et nous sont inculquées. Ma mère m’a expliqué que rester vierge jusqu’au mariage est synonyme de dignité. Elle a précisé que la famille me féliciterait de même qu’elle pour m’avoir si bien éduqué. Par conséquent, mon futur mari trouvera une femme d’honneur, digne que personne n’a touché avant lui et qu’il paiera une somme de plus pour la dot.
Avant même de grandir, d’apprendre, de déterminer ce qui est important pour elles ou pas, de construire progressivement leur identité, les filles sont conditionnées et contraintes de croire et penser que leur appareil génital est leur plus grande ressource. Certaines construisent toute leur plus-value autour. D’ailleurs elles sont célébrées lorsqu’elles en prennent soin (en prendre soin ici signifie : ne pas avoir de rapport de sexuel). Promouvoir des initiatives comme « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité, c’est valider le sexisme, la sexualisation et la chosification des filles. C’est aussi valider le viol des filles, les priver d’éducation complète à la sexualité et normaliser qu’elles grandissent en se réduisant à un appareil génital. Parce que pour délivrer les trophées “miss vierge”, les filles sont conduites à l’hôpital ou je ne sais où et subissent des attouchements et pénétrations qu’elles n’ont pas demandé de leur libre arbitre. Être fille ou femme ce n’est un appareil génital à préserver pour le bonheur de la société.
L’église justifie cela en trouvant des paroles de la bible où les vierges seraient saintes, pures et mériteraient plus de bénédictions et de dignité. La société justifie cela en s’appuyant sur la culture sexiste déjà opérationnelle pour mieux sexualiser les filles, perpétuer un contexte qui rejette l’éducation complète à la sexualité, soumettre certaines filles à un contrôle forcé de virginité et priver les filles d’un apprentissages concernant leurs propres corps et sexualités. J’ai failli être victime d’un contrôle forcé de virginité. J’ai voulu rapporter une preuve de virginité à mon père et je me suis retrouvée dans un tel creuset (que je ne dépeins pas ici tout en noir). Si nous acceptons que la virginité devienne une sorte d’unité de mesure de la valeur des filles, nous encourageons les familles aujourd’hui à violer les filles, les forcer à subir des attouchements, des pénétrations qu’elles ne souhaitent pas et nous dévalorisons plusieurs autres filles qui naïvement auront le sentiment de n’avoir plus de valeur si elles ont été déjà sexuellement actives. C’est dangereux !
La culture de la pureté prônée par l’église et dont on se sert pour justifier « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité est basée sur un discours de culpabilité, de contrôle, non pas un discours libre qui encourage l’apprentissage et le discernement. Cette culture est utilisée pour contrôler les femmes, les rendre ignorantes d’elles-mêmes. C’est une culture qui ne protège ni contre le viol, contre les violences sexuelles. C’est une culture sexiste qui utilise le sexe pour faire honte aux femmes défendant une conception limitée de la dignité. Nous ne voulons pas d’un monde où les femmes sont jugées, sexualisées, diminuées pour avoir ou pas eu de rapports sexuels.
Les initiatives « miss vierge » et l’éducation complète à la sexualité
« Miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité ne favorisent pas l’éducation complète à la sexualité. La sexualité est un aspect central de la nature humaine. Le sexe est l’une des composantes de la sexualité. Je le mentionne car dans les initiatives comme “Miss vierge”, l’emphase est placée sur « le sexe » et pas sur la sexualité qui est une notion plus très large. Les grossesses précoces en milieu scolaire prévalent majoritairement à cause du manque d’éducation complète à la sexualité. Surtout celle basée sur une approche ouverte et positive qui n’implique pas d’aligner uniquement les choses à ne pas faire ou contraindre à faire un choix. C’est un processus d’apprentissage dans nos familles, à l’école et dans les communautés pour comprendre ce qu’est la sexualité, les changements, les comportements, les risques. C’est un dialogue permanent. Autant pour les filles et les garçons. Les initiatives comme « miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité ne permettent pas une éducation à la sexualité adaptée à l’âge et au développement psycho-social des ados et jeunes. Aucune information scientifiquement vérifiée n’est véritablement donnée. Les filles sont surtout invitées voire contraintes de « garder la virginité jusqu’au mariage ».
Je ne refuse pas la promotion de l’abstinence comme pratique pour éviter des comportements sexuels à risques. Je ne fais pas non plus la promotion des rapports sexuels précoces. Je propose pour tous les enfants, l’accès à une éducation sexuelle formelle et informelle qui comporte déjà des informations sur l’abstinence et les comportements sexuels à risques. Pourquoi ces initiatives n’organisent pas des séances d’éducation sexuelle ? Ce n’est pas particulièrement leur objectif. Ces initiatives veulent amener des filles à l’hôpital, les soumettre à un test pour valider la culture de la pureté et le sexisme de nos sociétés.
Virginité : concept social, culturel et religieux
La virginité est une conception qui ne repose sur aucune base biologique véritable. On définit cela comme le fait pour une personne de n’avoir jamais eu de relations sexuelles. Et ce sont les femmes en général qui sont celles concernées par le respect de ce concept. Il s’agit d’un concept social, culturel et religieux qui tire ses sources dans la culture de pureté et d’honneur mais également du sexisme prônant l’abstinence avant le mariage pour les femmes. Tout.e.s les sexologues et médecins avec lesquels j’ai parlé à ce jour m’ont clarifié que scientifiquement, il ne serait pas possible de démontrer de façon palpable une quelconque virginité puisque l’hymen qui fait objet d’examen lors des contrôles de virginité a plusieurs formes. Celles qui sont déclarées “non vierges” après ces contrôles sont traitées comment ? Sachant que le test peut révéler un résultat qui ne soit pas la réalité de ces filles ? Pourtant nous continuons à regarder des institutions pousser des filles à subir des attouchements et pénétrations pour vérifier la virginité.
« Miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité est fondé sur une culture sexiste qui fait honte aux filles et aux femmes. Nous travaillerons à les déconstruire. Je suis convaincue que le travail à faire est la promotion d’une éducation complète à la sexualité adaptée à l’âge et au développement psychosocial de tous les enfants. Des ados et jeunes éduqués sur la sexualité avec des informations claires sur les risques d’une sexualité précoce et des comportements sexuels à risques, choisiraient plus de disposer des informations nécessaires pour faire des choix éclairés avant de passer à l’acte. Mais ce n’est pas ce qui intéresse véritablement. Puisque c’est le contrôle et l’endoctrinement qui sont subtilement au cœur des initiatives comme « Miss vierge » et d’autres événements de contrôle et célébration de la virginité.